HISTOIRE DE LA DENTELLE A ATH
La fabrication de la dentelle à Ath commence en 1678 à l’initiative de deux jeunes «badariennes», Jeanne de Couronnez et Jeanne-Marie Michaux, membres de la Congrégation des Filles de la Sainte-Famille, fondée à Valenciennes par Françoise Badar (1624-1677).


Elles créèrent une école de filles, la congrégation des filles de Saint-Joseph, installée à la rue du Chaudron. Outre l’éducation religieuse et primaire, les orphelines et les « filles déchues » y apprenaient la couture et la dentelle.


Françoise Badar s’initia à la dentelle à Anvers, notamment à l’ancien point de Flandre, et fut ensuite à l’origine de la célèbre dentelle de Valenciennes. On peut donc imaginer qu’à cette époque ce sont ces genres de dentelles qui étaient exécutées à Ath par ses consoeurs.

D’autres institutions comme le couvent de Nazareth ou les Filles de Saint-François, se mirent aussi à enseigner ou à fabriquer de la dentelle. Les comptes de l'église de Saint-Julien mentionnent d’ailleurs diverses dépenses pour l'achat de dentelles destinées aux ornements sacerdotaux et autres. Par exemple, on peut y lire des articles comme ceux-ci :

- "A sœur Amande de Lattre, au couvent de Nazareth, qui a livré 6 aunes de dentelles en 1681 pour faire trois aubes, aumittes et purificatoirs. »,

- en 1682. "A Clare-Thérèse le Louchier pour avoir livré quinze aulnes et trois quartiers de dentelle à l'effect de mettre ausdites aubes xvjl. vi s. »

- "Pour 6 aunes et demye de denteille à l'effet de mettre à trois purificatoirs et esté payé, XXXVIII sols."

Le travail de la dentelle resta cependant limité aux couvents et autres établissements charitables pour filles et il n’y eut pas de grand fabricant capable de concurrencer les productions de Valenciennes ou de Binche.

La tradition se poursuivit sous le régime français mais en 1806, on ne comptait plus que 37 dentellières.

En 1815, sur une population qui malgré les malheurs du temps, dépassait encore 8000 habitants, indépendamment des troupes qui tenaient garnison ou logeaient temporairement à chaque instant, il ne restait plus que seize dentellières et une dizaine vingt ans plus tard.

La crise de misère qui sévit à Ath, en 1846, comme dans tout le pays, par suite, notamment, du manque de pommes de terre, obligea l'administration à rechercher les mesures propres à secourir les malheureux.

Elle créa des ateliers de travail (couture, etc.) et en 1847, elle établit un atelier de dentellières qui compta trente élèves au bout de quelques mois. On y confectionnait surtout le point dit de Binche et les élèves les plus avancées commençaient à faire le point de Bruxelles et de Valenciennes.

L'autorité supérieure accordait un subside considérable et sur la proposition de l'Administration, elle avait nommé une commission de dames patronnesses.

En 1848, l'atelier comptait trente-cinq élèves qui fabriquaient des produits peu nombreux mais vendus à des prix avantageux grâce au dévouement des dames patronnesses qui se chargeaient elles-mêmes de la vente des produits.

On exécutait surtout le point de Grammont, le point de Binche, des applications et la dentelle noire qui trouvait un écoulement facile dans le commerce.

Mais en 1849, l'atelier des dentellières ne donnait plus de résultats satisfaisants en raison de la concurrence (plusieurs localités de l’arrondissement touchées par la crise de l’industrie linière avaient elles aussi créé leur atelier de dentellières) et l'administration décida de le supprimer à partir du 1er janvier 1850.

Par contrat du 12 décembre 1849, le sieur Silva, l'instituteur des dentellières rouvrit un atelier à ses frais. Il fut convenu qu'il fournirait un local convenable, avec une ou plusieurs maîtresses ouvrières, que les frais d'éclairage et de chauffage et toutes autres dépenses seraient à sa charge ainsi que les instruments de travail.

L'administration communale pouvait y faire admettre les enfants pauvres, moyennant un subside de cent et vingt francs par an.

Mais la population pauvre ne comprit pas les avantages de cette institution et le conseil n'eut à faire admettre à l'atelier que 16 élèves.

Le contrat avec Silva fut renouvelé pour un an à partir du 1er janvier 1851, aux mêmes conditions.

A une exposition provinciale qui eut lieu à Mons, en septembre 1851, Silva (atelier communal), Bourdeau J.-B. père et Bévenot-Ottelet, exposèrent des pièces de dentelles communes.

Il ne fut plus question de l'atelier de dentelles par la suite.

Cependant le rapport communal de 1865 constatait que l'industrie de la dentelle s'était trouvée encore dans une situation favorable en 1864.

Le recensement de 1866 montre qu'il y avait encore à cette époque en notre ville 154 dentellières.

Le nombre de dentellières diminua ensuite graduellement et elle finirent par disparaître au début du 20ème siècle.



La dentelle dite dentelle d'Ath apparaît au 19ème siècle. C’est une dentelle aux fuseaux dont le réseau est constitué par le point de Paris. Les mailles de ce fond sont disposées de façon à laisser entre elles de petits espaces triangulaires. Ce fond est orné de pois en toilé semés dans le champ ou assemblés en cercles, pyramides ou autres figures géométriques. Le bord, légèrement lobé est parfois agrémenté de grillé ou de fond de Lille.

Les diverses espèces de dentelles se distinguaient à la fois par le nombre de mailles en hauteur, ce que l'on appelait routes, et par le dessin : fève (bordure), poire, etc. Il y avait celle à 3 routes, en soie noire, qui se payait à l'ouvrière 30 centimes l'aune de 74 centimètres. La fève à 6 routes valait 50 c. l'aune; celle à 10 routes 70 cent.; la petite fève à 14 routes 1 fr 40, on ne pouvait la faire en une journée. La grande fève à 14 routes rapportait 1 fr 50; la fève à 19 routes 1 fr 75 mais les meilleures ouvrières ne pouvaient en faire qu'une demi-aune en un jour. On recevait 2 frs pour la poire à 23 routes et le plat rond à 23 routes également. Il y avait encore les quatre trouets à 27 routes et le grand bord.

Les belles dentelles de soie noire à 23 routes, à 19 routes et le plat rond servaient à orner le mantelet si caractéristique de nos grand'mères, les dentelles blanches, plus modestes, appelées « tirettes » étaient utilisées pour garnir les chemises féminines.

Le matériel de la dentellière était formé

- d’un carreau ou coussin, de fuseaux de différentes grosseurs recevant le fil à dentelle

- de casseaux ou feuilles d'écaille de celluloïd ou de carton entourant parfois le fil enroulé sur le fuseau pour empêcher qu'il se salisse

- d’un bobinoir, espèce de petit rouet sans pied servant à bobiner le fil sur les fuseaux

- d’un dévidoir, assemblage de lattes en forme de tourniquet sur lequel s'étendait l'écheveau de fil, pour le dérouler

- d’un guipoir, petit crochet spécial composé d'une grosse aiguille recourbée fixée dans un manche de bois, utilisé pour raccorder entre eux les divers fragments et les morceaux de dentelle

- de fils de différentes grosseurs dont les plus généralement employés varient des n° 70 à 200

- d’une pelote bien chargée d'épingles

- de modèles dessinés sur papier à calquer ou piqués sur parchemins ou sur carton

- de ciseaux très tranchants

- d’un fragment de papier ou de toile cirée que la dentellière fixait à l'aide de 4 épingles sur le carreau, après l'avoir enduit au préalable de poudre de savon de manière que le frottement des poignées des fuseaux n'use pas la toile du carreau.

Les marchands de dentelles étaient Bourdeau J.B., rue du Bouchain, Bevenot-Ottelet, rue du Moulin et Romain Fontaine, Marché aux Bêtes. C'est là que se trouvait la vraie rue des dentellières, et il n'était pas rare d'en trouver une vingtaine au milieu de la rue fermant un Castelet, d'où sortaient des chants ininterrompus. Car malgré leur misère, les dentellières étaient gaies : la bonne chanson qui faisait tous les frais de leurs amusements ne coûtait rien.

On en trouvait encore rue de Gand, rue du Noir Bœuf et rue des Récollets.

Leurs réunions joyeuses excitaient la curiosité amusée des voyageurs. Cependant la production n'était pas rémunératrice. Il fallait payer la soie noire, matière première, en pièces de 16 aunes, que l'on se procurait chez Lecocq ou chez Bevenot. Pour une aune de dentelle que l'on vendait 1 fr 50, il fallait pour plus de cinquante centimes de soie.

La journée n'atteignait pas un franc. Aussi l'industrie dentellière disparut très rapidement lorsque l'ouvrière put trouver des salaires plus rémunérateurs dans les fabriques, notamment dans la filature de M. Wauters.

En été la durée de la journée était excessive; en hiver, elle était courte, et quatre ou cinq ouvrières la prolongeaient parfois autour d'une lampe à l'huile fumeuse dont on tirait la mèche avec une épingle à cheveux .

La fête des dentelllières se célébrait le 5 août, lors de Notre-Dame-aux-Neiges, et durait parfois neuf jours, mais le plus souvent deux. La statue de cette vierge se trouvait rue du Spectacle, où les dentellières étaient nombreuses. C'est une Pieta, dans une très belle niche ogivale, au-dessus de la porte d'entrée de l’ancienne maison du Lombard.

On liait en travers de la rue, comme on fait des couronnes aux processions, un coussin ou carreau auquel pendaient des fuseaux. Une cotisation de dix centimes permettait à ces modestes ouvrières de se régaler de café et de goutte. Elles chantaient et dansaient autour d'une table placée au milieu de la rue. On faisait de même la fête chez M. Bevenot, rue du Moulin, et à la Boule d'or, rue du Marché aux Bêtes, où le violon était tenu par Deneubourg.

Comme au temps de Teniers, on n'avait d'autre orchestre qu'un violoneux hissé sur un tonneau. C'était Nicole, cet ignoble personnage qu'une facétieuse étrenne de l'Echo de la Dendre a sacré autrefois dernier ménétrier du Hainaut pour la mystification des graves historiens à venir : Nicole, dont le talent consistait à accompagner de fausses notes les paroles suivantes qu'il chantait avec brio enragé :

Allez-vous en chacun chez vous;

Del char et des petotes (bis)

Allez-vous en chacun chez vous;

Del char et des carottes. (bis)

Le dimanche, Nicole, le violon sous le bras, arrivait chez Lambert, en face du Lion d'or, à la limite d'Ath et d'Irchonwelz et là, toujours sur son tonneau, il faisait se trémousser les dentellières en sabots et en petits tabliers. Un autre ménétrier bien connu était C.C.Rousseau.

En 1984, après une visite au musée du Cinquantenaire à Bruxelles, le Cercle d’Histoire et d’Archéologie d'Ath et environs a souhaité faire revivre la dentelle à Ath et des cours d'initiation ont débuté avec Mme Jacquemin.

Il n’y avait plus de dentellières à Ath depuis le début du 20ème siècle mais un bout de dentelle d'Ath, offert par l'arrière-petit-fils de Mélanie Pottier, dernière dentellière athoise, a été étudié et redessiné par Mme Jacquemin.

Née en 1837, Mme Pottier alla en apprentissage, dès l'âge de cinq ans (en 1842 !) chez Mme Dedève. Celle-ci leur commandait de croiser les bobines (les fuseaux) puis d'attacher une épingle : « Perdé l'paire ! Perdé ène épène ! Affiqué ! »

Actuellement, l’Atelier de Dentelle aux Fuseaux d’Ath, organise encore des cours de dentelle et de nombreuses dentellières continuent à réaliser de la dentelle d’Ath en plus de nombreux autres genres de dentelles aux fuseaux.

© Calipso Prod.